lundi 30 avril 2018

Les louves - Flore Balthazar ♥♥♥

Les louves  -  Flore Balthazar

Les Louves - Les Louves

Editions Dupuis
Aire Libre
Parution : 23/02/2018
Pages : 200
    ISBN: 9782800167787
    Prix : 18 €

Présentation de l'éditeur

« Trop tard, les Loups attaqués, les vieux Loups fatigués de guerres, partirent au combat. Leurs Louves se réfugièrent au fond des tanières, serrant contre elles leurs Louveteaux... »

Comment vit-on lorsqu'on est une femme belge sous l'occupation allemande ? C'est ce que vont apprendre Marcelle et Yvette, deux filles de La Louvière, au cours de ces longues années de guerre. Aux côtés de leurs frères et de leurs parents, elles grandiront jusqu'à devenir peu à peu des femmes soucieuses de préserver leur monde, des Louves prêtes à se battre pour vivre et à vivre pour être elles-mêmes.


Si la Seconde Guerre mondiale a laissé d'innombrables séquelles sur les corps des soldats, elle a aussi infligé son lot de tourments au coeur des femmes à l'arrière du front. Flore Balthazar dépeint le quotidien de ces femmes dans cette fresque hautement symbolique inspirée de l'histoire de ses proches. On tremble, on respire, on s'émeut avec elles : les Louves toujours continueront de hurler.


Mon avis

C'est un mélange de faits réels et de fiction que nous présente Flore Balthazard dans ce très beau roman graphique made in Belgium de 200 pages.   Certains personnages nous dit l'auteure ont été condensés en un seul, les noms changés mais le respect de l'Histoire est bien là.

Tout commence le 1/9/39 sur une déclaration d'Hitler laissant entendre le conflit qui se prépare.  Les loups se préparent à envahir nos contrées.

Nous sommes à La Louvière en Belgique et nous allons vivre le quotidien de la famille Balthazard. Nous allons vraiment partager les petits moments de la vie courante.

Marcelle est adolescente, elle tient un journal.  C'est sur base du journal de sa tante que l'auteure se base pour nous conter ce récit.

Elle dépeint l'arrivée de la guerre, l'écoute des émissions radio BBC, les alertes dans les caves.Marcelle a 16 ans en 40 et malgré la mobilisation, la vie continue, il faut trouver de la nourriture, il y a le rationnement.  Il faut ruser, être créatif, on découpe un manteau dans des tentures par exemple.

Il y a aussi la résistance.  La figure phare du récit est Mademoiselle Clauwaerts qui participe à la diffusion d'un journal patriote "Thyl l'Espiègle" et nous explique comment les femmes deviennent des Louves pour défendre leurs petits.  Jolie métaphore, la louve étant l'emblème de La Louvière.

Ce roman graphique est un bel hommage à Marguerite  Bervoets, résistante arrêtée durant la guerre, emmenée au travail forcé en 1943 pour produire des munitions aux usines Krupps.

On suit la famille jusqu'à la libération.  Un très joli récit sur l'histoire de La Louvière.  J'ai apprécié les petites réflexions et expressions de chez nous, les anecdotes du quotidien nous racontant le destin de cette résistante Marguerite Bervoets et le dossier bien documenté en fin de livre.

Une très belle découverte dans le cadre du mois belge lu avec ma binôme Julie des Petites Lectures de Scarlett, son avis se trouve ici .   Heureuse de lui avoir suggéré cette lecture car nous sommes toutes les deux conquises

C'est un coup de coeur. ♥




dimanche 29 avril 2018

Le diable en pantoufles - Romane Biron

Le diable en pantoufles -  Romane Biron



Maelström Reevolution
Parution : mai 2017
Pages : 120
ISBN : 9782875052667
Prix : 13 €

Présentation de l'éditeur

Au n°18 de l’allée du Silence vivent les Clairefontaine, une famille parfaite qui, pour rien au monde, ne manquerait la messe du dimanche. Chantal est l’archétype de la dévote de compétition. Charles est un homme efficace et soigné. Les filles, Marie et Élodie, élevées dans un carême bien trop long, essaient d’échapper au cadre familial en se réfugiant dans leur monde imaginaire.
Atteinte d’une grave maladie, contrainte de garder des secrets acides bien trop grands pour son âge, Marie se bat contre tout et tous.
Elle est bien décidée à sauver sa soeur d’une vie comme la sienne.
Elle est prête à tout pour cela.

Dans un style semé de devinettes et de comptines qui brisent le silence de cette famille, Romane Biron nous dévoile une histoire brute sur le courage, l’espoir et le passage à l’âge adulte.

L'auteure

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Née à Grenoble et Bruxelloise d’adoption et de coeur, elle est formatrice en communication.
Elle soigne les maux des autres (thérapeute Shiatsu) mais aussi leurs mots (soutien à l’écriture de manuscrits et animation d’ateliers d’écriture). Quand elle ne fait pas parler ses mains, elle fait parler ses yeux (photographies).
Le diable en pantoufles est son premier roman.

Mon avis

Merci à Romane de m'avoir envoyé son livre car je serais sans doute passée à côté autrement et vraiment ce serait dommage.

Un premier roman publié chez Maelström Reevolution, une maison d'éditions de mon plat pays.  

La couverture interpelle, des bondieuseries, le poids d'une éducation catholique et du homard !  Étrange, non ?  N'oubliez pas que nous sommes en Belgique, le pays du surréalisme !  Le visuel est très réussi et reprend à merveille les éléments de ce premier récit pas si loufoque que cela !

C'est un petit roman de 115 pages qui une fois commencé ne se pose pas avant d'arriver à la fin.

Difficile de vous en parler sans raconter l'histoire.  Une écriture poétique qui vous donne de l'émotion.  Bravo !

Les petites chansons et comptines nous accompagnent durant la lecture.  

Les Clairefontaine vivent 18 allée du Silence, une famille qui semble parfaite !  Chantal dévote, pieuse ne jure, oh pardon que par Dieu. Il est indispensable d'être catholique modèle.  Oui, c'est bien tout ça, mais il n'en est qu'apparence.  Charles, le père est l'archétype du l'homme des années 70, il mange du gigot le dimanche pendant que ses deux filles Marie (13 ans) et Elodie mangent les restes des plateaux repas faits par Chantal ...

Marie est malade, pour fuir la réalité se crée un monde imaginaire, elle veut à tout prix éviter que sa soeur Elodie (7 ans) vive la même chose qu'elle.   La religion prend vraiment trop de place...

Heureusement il y a mammy Framboise !

Beaucoup d'humour dans l'écriture, j'ai adoré le passage de l'invité à déjeuner parce que "Pèlerin Magazine" le suggère.

Je n'ai pas envie de vous en dire plus si ce n'est que ce livre ne ressemble à aucun autre.  Il nous parle de courage, d'espoir avec une plume empreinte de poésie.

Soyez curieux.  Laissez-vous tenter.

Ma note : 8.5/10

Les jolies phrases


Le bonheur est un risque, je suis sûre que tu sauras le prendre.


Elle sort de son sac un carnet bleu déconfit. Un relent de souvenirs se diffuse tout autour. Framboise brasse les pages couvertes de chiffres assortis de commentaires et lit quelques passages à haute voix. Trente secondes : ma douce amie a arrêté de chanter. Un mois : le jardin est épanoui, ma douce amie aussi. Une minute : elle me dit que les Anglais ont rembarqué, bonne nouvelle. Neuf mois : son ventre tout rond de belles promesses. Deux mois, petit Charlie fait areuh. Elle continue de lire des bribes du bonheur de son Hubert.






vendredi 27 avril 2018

Ariane - Myriam Leroy ♥♥♥♥

Ariane  -  Myriam Leroy

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Don Quichotte
Parution : 04/01/2018
Pages : 208
ISBN : 978-235949-675-8
Prix : 16 €

Présentation de l'éditeur


« Quand j’ai eu douze ans, mes parents m’ont inscrite dans une école de riches. J’y suis restée deux années. C’est là que j’ai rencontré Ariane. Il ne me reste rien d’elle, ou presque. Trois lettres froissées, aucune image. Aucun résultat ne s’affiche lorsqu’on tape son nom sur Google. Ariane a vécu vingt ans et elle n’apparaît nulle part. Quand j’ai voulu en parler, l’autre jour, rien ne m’est venu. J’avais souhaité sa mort et je l’avais accueillie avec soulagement. Elle ne m’avait pas bouleversée, pas torturée, elle ne revient pas me hanter. C’est fini. C’est tout. »


Elles sont collégiennes et s’aiment d’amour dur. L’une vient d’un milieu modeste et collectionne les complexes. L’autre est d’une beauté vénéneuse et mène une existence légère entre sa piscine et son terrain de tennis. L’autre, c’est Ariane, jeune fille incandescente avec qui la narratrice noue une relation furieuse, exclusive, nourrie par les sévices qu’elles infligent aux autres. Mais leur histoire est toxique et porte en elle un poison à effet lent, mais sûr.


Premier roman sur une amitié féroce, faite de codes secrets et de signes de reconnaissance, à la vie à la mort.

L'auteure nous en parle





Mon avis

C'est un premier roman sélectionné pour le Goncourt du 1er roman.  Résultat le 5 mai prochain.

Quoi qu'il en soit un premier roman très fort qui nous parle de l'adolescence et d'une très grande amitié.

Nous sommes en 1994 dans le Brabant Wallon, au sud de Bruxelles; direction : Nivelles.

Attention si vous y habitez, vous risquez de ne pas trop apprécier car la ville en prend pour son grade, décrite comme moche, triste, austère.

La narratrice y vit avec sa famille d'origine modeste.

'Ma soeur et moi ne manquions de rien, sauf du superflu"  ...cela veut tout dire ! Ils ont de l'argent mais on ne dépense rien.  Habillée à "l'as de pique", un père comptable et une mère au foyer, pas de resto, pas de cadeaux de Noël, les vacances se passent dans une vieille masure familiale à la campagne.

La narratrice a 13 ans en 1995.  Hors de question pour ses études secondaires qu'elle fréquente les "ploucs", c'est décidé ses parents l'inscrivent à Braine-l'Alleud dans un collège plus bourgeois.  C'est là qu'Ariane croisera l'élite des alentours et Ariane qui vit à Lasne, la commune par excellence où vivent les riches du BW (Brabant Wallon).

Pour s'intégrer, la narratrice aura droit à quelques achats vestimentaires; son premier "Levi's", c'est l'époque des vestes Donaldson et pour les ados, l'importance de ces codes vestimentaires est grande.
On va avec joie parcourir les années '90 que ce soit au niveau vestimentaire, musical.

Ariane est belle, d'origine indienne.  Elle a été adoptée il y a trois ans.  Elle vit dans un autre monde; piscine et tennis à la maison, des parents aux moeurs familiales très libres.  C'est une amitié fusionnelle qui prend naissance, mais Ariane n'a pas froid aux yeux, et cette belle amitié deviendra bien vite toxique.

Un premier roman très réussi.  Le langage est cru et direct comme le sont les ados.  Le besoin d'exister, de plaire, de s'affirmer est très bien décrit. Myriam Leroy dépeint à merveille le ressenti de cet âge, elle nous fait vraiment revivre l'époque, ses changements physiques et émotionnels de l'adolescence, l'instabilité psychique ressentie à cette période de la vie.

Une amitié toxique, amour-haine qui sans doute autobiographique a laissé des traces chez l'auteure.

Mais pourquoi revenir sur cette histoire de plus de vingt ans, s'interroge la narratrice?  Elle nous parle de l'écriture, de ce besoin d'utiliser le "je" ou pas, sur le besoin de dire ou non la vérité ?

Un premier roman entre fiction et autobiographie, un roman initiatique qui se lit très vite et qui augure une plume très prometteuse.

Ma note : 8.5/10

Les jolies phrases

Ariane fit tomber les derniers résidus de crainte hérités de douze années d'éducation fondée sur le mantra préféré de mes parents : "Se méfier de tout et tout le monde, ne jamais rien attendre de personne."

J'en étais sûre.  Notre binôme était surnaturel.  Nous étions plus que la somme de nos parties, nous étions cette complétude en tous points soudée dont naissaient les rayons lasers et les pouvoirs magiques.  Nous imaginions avoir en poche ces deux médaillons orphelins, le croissant de lune et le soleil qui, s'emboîtant, devenaient la clef des Mystérieuses Cités d'or.

J'ai compris que la vie n'avait d'autre sens que de la vivre et, si je ne m'en réjouis pas forcément, j'en fais mon affaire, je l'accepte et n'en veux à personne (enfin, pas vraiment) de ne pas m'en avoir avertie.  J'ai intégré que l'amour était une humeur hormonale utile à la perpétuation de l'espèce, le désir soluble dans l'amitié une disposition occupationnelle.

Une pire ennemie, on y pense encore plus qu'à une meilleure amie, c'est fou le cerveau humain.










mardi 24 avril 2018

Bissextile - Eric Russon ♥♥♥♥♥

Bissextile                   -    Eric Russon

Bissextile

Robert Laffont
Parution 01/02/2018
Pages : 360
EAN : 9782221188842
Prix : 20 €

Présentation de l'éditeur

Depuis plus de vingt ans, Sarah a rompu toute relation avec sa mère, une violoncelliste mondialement connue mais une femme totalement dénuée d’amour maternel. Pourtant, le jour où Élise, la domestique de cette dernière, vient lui apprendre qu’elle se meurt, Sarah doit se résoudre à la revoir et à retourner dans la maison de son enfance, dont elle hérite. Une villa à l’atmosphère inquiétante, entre mer et forêt, totalement coupée du monde, qu’Élise continue d’entretenir.
Peu à peu, Sarah se met à chercher les réponses aux questions qu’elle s’est toujours posées. Pourquoi sa mère était-elle si froide avec elle ? Pourquoi avait-elle brutalement interrompu sa carrière, pourtant exceptionnelle ? Pourquoi s’était-elle réfugiée dans un lieu si isolé ? Et qui envoie à Sarah ces photos d’elle petite fille qui atterrissent mystérieusement dans sa boîte aux lettres ?
Dans ce palpitant thriller familial, Éric Russon s’interroge sur les liens entre les êtres, la désobéissance, et la façon dont l’histoire collective influence les destins individuels.

L'auteur

Éric RUSSON



Eric Russon est né à Bruxelles. Journaliste spécialisé dans l’actualité culturelle, il a travaillé à Télé Bruxelles et sur La Première (RTBF). Depuis 2006, il présente « 50 degrés Nord » sur Arte Belgique. Il est l’auteur de deux pièces de théâtre. «Crispations » est son premier roman. Bissextile est le dernier en date.

Source ; Babelio


Mon avis

Sarah Vasseur est gynécologue, elle travaille dans la plus grande maternité d'une ville insituée, que l'on imagine être une capitale.  Nous sommes dans un autre temps, dans un futur pas si lointain.  Sarah est mariée à Nicolas, un architecte en vue avec qui elle a eu Jérôme, leur fils.

Lors de l'inauguration du Palais des Beaux Arts, rénové par son mari, elle admire un tableau dans une salle obscure, une toile d'une autre époque, d'avant la loi, représentant une famille.  Un homme étrange au chapeau de cow-boy l'aborde et lui parle de cette époque révolue, rêve ou réalité ?  L'homme s'est évaporé la laissant dans ses pensées.

Depuis plus de vingt ans, Sarah a coupé les ponts avec sa mère, Lucie Beaumont, violoncelliste mondialement connue qui a subitement mis fin à sa carrière à la naissance de Sarah.  Lucie se meurt et lui demande de la revoir une dernière fois.  Elle envoie Elise pour cette mission.  Elise qui semble vraiment fort dévouée.

Sarah hésite à revoir sa mère, marquée dans son enfance par l'absence complète d'amour maternel.

Coïncidence, Lucie reçoit des courriers, plus précisément des photos d'elle petite, c'est ce qui va l'inciter à renouer avec son passé.

Le décor est planté.  C'est une dystopie que nous propose Eric Russon, un thriller familial palpitant, rudement bien mené.

On ne sait pas très bien où on est, quand on est ?  La société a changé, évolué..

Il y a une loi votée il y a quarante ans, une loi temporaire, prévue au départ pour vingt ans, renouvelable tous les dix ans, elle régit la société.  Sera-t-elle amendée ?

La mobilisation n'est pas très grande.  Le peuple est surveillé.  Le plus inquiétant : les déviants , ils sont arrêtés  de façon violente, pourquoi ?

Il y a aussi une maison en bord de mer digne d'un tableau de Hopper ou d'un film de Hitchcock, elle est magnifique, inquiétante.  L'ambiance y est oppressante, un sentiment d'être épié y règne. Quels sont ces secrets enfouis ?

Un texte passionnant, captivant qui pose question sur les liens entre les êtres, la soumission, la désobéissance.  Une très jolie plume, de courts chapitres remontant le temps comme un compte à rebours.  Un texte puissant, marquant.

J'ai vraiment adoré, je vous le conseille vivement.  Les pages tournent toutes seules.  Un texte qui s'interroge sur certains problèmes de notre société.  Intelligent et super bien mené.

Un gros coup de coeur.




Les jolies phrases

Madame , c'était l'équilibre. La permanence. La clé de voûte de tout un édifice dont Élise fait partie.
Sa vie ressemble à une vieille armoire, avec une foule de tiroirs où chaque objet a sa place, bien séparé des autres.   Et il y a fort à craindre qu'à sa mort, tous les tiroirs soient jetés à terre et leur contenu répandu, mélangé.  Les compartiments qu'elle a passé une vie entière à garder fermés risquent de se retrouver sens dessus dessous.

C'est à cela qu'il occupe le temps qui lui reste, s'accrocher à tous ces vestiges d'un monde que le temps engloutit, comme un naufragé à un bout de bois.

Comment a-t-elle pu exprimer des émotions aussi intenses et se montrer aussi inapte à aimer sa fille?

Autant l'une était minérale et glaciale, autant l'image que Sarah garde de Jacques est celle d'un homme solaire.

Sa vie était consacrée à ces femmes qui un jour deviennent mères.  Il y avait certes dans ce choix l'expression d'une vocation mais aussi la volonté de percer un mystère.  Ce qu'elle voulait, c'était saisir cette étrange envie de se prolonger dans un autre corps, une autre existence.  Qu'elle en soit consciente ou non, par l'observation quotidienne du désir et de la joie d'enfanter, c'est l'indifférence de sa mère à son propre égard qu'elle souhaitait comprendre.

Aujourd'hui, le digital a tout bousillé.  Rien à voir avec ces merveilles argentiques.  Les photos saturent des mémoires virtuelles, perdues dans les nuages, que plus personne ne regarde.  On lègue des maisons, des propriétés, des voitures, des comptes en banque mais comment transmet-on vraiment un récit familial ? Et quand on n'a reçu aucun passé en héritage, le futur ne perd-il pas toute consistance ?

On ne refait pas sa vie, pas plus qu'on ne le recommence.  Repartir de zéro est une illusion, un leurre.  On aura beau cacher son passé dans une consigne dont on perdrait la clé, il se trouverait toujours quelqu'un de bien intentionné pour vous le rapporter.




dimanche 22 avril 2018

Apprendre à lire - Sébastien Ministru ♥♥♥♥♥

Apprendre à lire        -   Sébastien Ministru

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Grasset
Collection  Le  Courage
Parution le 10/01/2018
Pages : 160
Ean  9782246813996
Prix : 17 €


Présentation de l'éditeur


Approchant de la soixantaine, Antoine, directeur de presse, se rapproche de son père, veuf immigré de Sardaigne voici bien longtemps, analphabète, acariâtre et rugueux. Le vieillard accepte le retour du fils à une condition : qu’il lui apprenne à lire. Désorienté, Antoine se sert du plus inattendu des intermédiaires : un jeune prostitué aussitôt bombardé professeur. S’institue entre ces hommes la plus étonnante des relations. Il y aura des cris, il y aura des joies, il y aura un voyage.
Le père, le fils, le prostitué. Un triangle sentimental qu’on n’avait jamais montré, tout de rage, de tendresse et d’humour. Un livre pour apprendre à se lire.



Premier roman

L'auteur nous en parle

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Source TV5 Monde

Mon avis

Attention , immense coup de coeur.

Je connaissais la plume humoristique de Sébastien Ministru par le biais de ses pièces de théâtre "Cendrillon ce macho, Fever, Excit...", son humour parfois caustique par le biais de ses chroniques en radio, mais j'ignorais cette écriture sensible, tout en "retenue, tendresse et émotion".

C'est son premier roman, il est juste MAGNIFIQUE.  A lire absolument !

Antoine, approche la soixantaine, il est directeur de presse accaparé par son travail.  Il s'était éloigné de son père avec qui les relations ont toujours été difficiles et compliquées.

Antoine vit en couple avec Alex (artiste peintre) depuis trente ans. Ce duo est au fil du temps devenu platonique.  Antoine s'offre de temps à autre des relations tarifées.  C'est comme cela qu'il rencontrera Raphaël, surnommé Ron, un étudiant instituteur qui rêve de partir en Australie.

Un jour, le père d'Antoine lui demande de lui apprendre à lire et à écrire !  Antoine est un peu désarçonné, et pense à une lubie pour l'emmerder ... mais non son père y tient. Il veut savoir lire et écrire, et si au paradis on lui demandait sa signature pour entrer ?

Peu à peu, Antoine se rendra compte de la souffrance de son père, d'origine sarde envoyé à l'âge de six ans comme berger à la montagne.  L'école et l'éducation lui ont purement et simplement été supprimées.  Immigré ensuite pour travailler dans les mines, il n'a jamais pu signer le bulletin de son fils...  Frustrations..   Il perdra sa femme très jeune, trop jeune et deviendra acariâtre, grincheux, c'est comme ça qu'ils s'étaient éloignés.

Antoine s'en rapproche à présent, s'occupant du vieil homme, il essaie de lui apprendre à écrire, mais c'est compliqué, il n'a pas la patience, la méthode.

Un jour il demandera à Ron de prendre le relais.  Ron s'investira pendant quelques mois bien au delà de l'apprentissage de l'écriture et de la lecture, il permettra au père de s'ouvrir, de communiquer plus.  Le père s'attachera à Ron, changera.  Ron sera un peu le trait-d'union "père-fils", à la base de cette initiation filiale.

J'ai aimé ce premier roman en partie initiatique qui indirectement nous parle de l'immigration italienne, de la relation père-fils, de la honte et de la souffrance face à son analphabétisme.  J'ai aimé l'écriture à la fois franche, pudique et sobre de Sébastien Ministru, retrouvant son humour.

Un premier roman empreint d'humilité, d'émotions.  Un petit bijou tout simplement magnifique.

Foncez, c'est une très belle découverte.

Immense ♥♥♥♥♥

Les jolies phrases

Tomber amoureux est la pire des pertes de contrôle, une mise à genoux de la vie qui n'engendre que mièvrerie et troubles de la concentration.

Mon père ne savait ni lire ni écrire parce qu'il avait dû obéir aux ordres de sa famille qui lui avait refusé le droit de fréquenter l'école et confisqué à jamais le droit de s'affranchir.  Je voulais bien le croire mais il n'avait pas dû être le seul dans ce cas en ce temps-là. Ce que j'avais oublié de prendre en considération c'était la souffrance qu'il avait dû endurer en silence et qui avait, sans doute, fait de lui cet homme rude et difficile.

Mais à quoi ça va te servir de savoir lire ?
A quoi ça va me servir ? Mais à lire.  Peut-être que lire, ça fait mourir moins vite.

Lire et écrire, comme inspirer et expirer, sont des gestes naturels que personne ne se souvient d'avoir appris.

La vieillesse et la jeunesse ont cela en commun qu'il faut faire vite - pour l'une parce qu'il n'y a plus de temps à perdre, pour l'autre parce qu'il n'y en a jamais eu à économiser.

Pour les mots simples, il ne s'en sortait pas trop mal, pour les mots plus compliqués, c'est-à-dire plus longs, il se perdait.  Son esprit, en suspens, tombait comme une poussière au vent dans les coursives qui rattachaient les lettres entre elles et dessinaient le mot, égaré par l'architecture même du vocable qui édifiait devant lui une forteresse impossible à prendre.

p87

Il arrive un moment dans l'existence où l'on sent que ce qu'on n'aurait jamais pu faire est la chose à faire.

99 % de la population est alphabétisée, mon père fait partie de cette infime portion de gens qui n'ont jamais été scolarisés.  J'ai mis longtemps à le comprendre, mais il vivait ce handicap comme une réelle douleur - secrète, fourbe et lancinante, maudissant en silence son propre père qui lui avait interdit l'entrée à l'école sans mesurer les dégâts que cela causerait chez lui.  J'ai sous-estimé la satisfaction qu'il éprouvait d'avoir pu apprendre les rudiments de la lecture et de l'écriture.

Il y a des gestes qui, si on les fait, ne portent pas à conséquence; il y en a d'autres qui, si on ne les fait pas, existent quand même.

Son écriture, malhabile, curieusement encombrée de courbes et d'arrondis, ne reflétais pas l'homme, mince, tendu et anguleux, que je connaissais.  La forme des signes qu'il traçait avec cette volonté de prendre beaucoup d'espace révélait une autre part de lui, longtemps enfouie et qui, c'était vraiment çà  le miracle, lui rendit le sourire qu'enfant on lui avait confisqué.


samedi 21 avril 2018

Le roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur - Patrick Roegiers

Le roi, Donald duck et les vacances du dessinateur

Patrick Roegiers

Le roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur

GRASSET
Parution : 17/01/2018
Pages : 304
Prix : 20.00 €
Prix du livre numérique: 14.99 €
EAN : 9782246860211


Présentation de l'éditeur

— Vous avez le permis pour regarder le lac ?
— C’est combien ?
— 50 francs suisses.
— Ce n’est pas donné.
— Tout se paye.
— On l’a noté.
— Pas de sous, pas de Suisse.
— Quel beau pays !

Hergé, le père de Tintin, et Léopold, le roi des Belges, se rencontrent au bord du lac Léman, en juillet 1948. L’un est en dépression, l’autre en exil. Ils sont les protagonistes d’un film où ils jouent leur propre personnage et qui se tourne à mesure que le roman s’écrit. La distribution comprend Marlene Dietrich, Humphrey Bogart et Ava Gardner notamment, mais aussi Tex Avery, Walt Disney et Harold Lloyd. Le film est dans le roman, le roman est dans le film.
Un livre vraiment original, drôle, inattendu, mordant et sarcastique, où la virtuosité s’allie à la plus haute fantaisie.


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Mon avis

Quel titre que celui-là ! Tout un programme.

De l'humour, vous l'avez bien compris.  Patrick Rogiers aime mettre en scène des personnages ayant vécu à la même époque et les placer au coeur d'une fiction.  Mêler le vrai du faux, le faux du vrai.

C'est ce qu'il a fait ici au centre de ce roman qui contient lui-même le tournage d'un film.

Nous sommes en Suisse, pays neutre en 1948.

A cette époque, le roi Léopold se trouve en exil dans ce pays, Georges Rémy mieux connu sous le pseudo de Hergé s'y trouve également.  Il se repose, dépressif , ne trouvant plus l'inspiration.

Patrick Rogiers a imaginé que ces deux-là se rencontrent au bord d'un lac suisse...  Il va plus loin, ils vont faire partie d'un film dont ils seront les acteurs principaux, entourés de vrais comédiens qui eux joueront les rôles secondaires.

On mélange le vrai au faux....Le film par exemple au lieu de se tourner dans le vrai cadre naturel se tournera exclusivement dans des décors en carton pâte mais à l'intérieur de ceux-ci tout le reste sera plus vrai que nature : la vaisselle, le champagne, les verres en cristal...   Réalité et fiction, la marge est faible.

Peu à peu Léopold et Hergé vont se livrer, laissant paraître leurs faiblesses, leurs fêlures, leurs secrets.

Et Donald Duck dans tout ça me direz vous ?  C'est le gardien du lac.

Les acteurs jouant les rôles secondaires sont entre autres Tex Avery, Charlot, Laurel et Hardy, les Marx Brothers mais aussi Gloria Swanson, Einstein, la Castafiore, Greta Garbo y font leur apparition.

On retrouve une foule de films et d'acteurs d'Hollywood et d'ailleurs des tas de références cinématographiques.

Les dialogues entre Léopold et Hergé sont succulents, plats, convenus, amusants, ils m'on fait sourire tout au long de la lecture.

La Suisse, elle aussi est au coeur du récit, tous les clichés la concernant sont mis en évidence.

On se promène au bord du lac, c'est joli mais c'est la surface.  Que se cache-t-il dans la vase ?  c'est un peu le sujet que nous cachent Léopold et Hergé ?

J'ai passé un agréable moment de lecture.

Ma note : 8.5/10

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Les jolies phrases

Le jeu n'est pas une imitation de la vie.  Jouer, c'est vivre.

Il n'y a pas que les montagnes qui ne se rencontrent pas.  Les extrémités du temps se rejoignaient.

Le bonheur est une réalité qu'on invente.  Il n'existe pas par lui-même.

On ne le connaît vraiment que si on tente de le poursuivre.

Rien n'est plus ennuyeux que la perfection.

Ce que l'on trouve compte moins que ce que l'on recherche.

Le cinéma n'est-il pas l'art d'inventer du vrai à partir du faux et du faux à partir du vrai ?

Le cinéma est l'art du retour permanent et le roman celui de la reprise incessante.  On ne vit pas deux fois.  Ce qui est fait l'est une fois pour toutes. Et il impossible de revenir en arrière.

Dans le film qu'il venait de réaliser, comme dans le roman qui s'était déroulé, tout était vrai parce que tout était imaginé.

Le roi ne peut rien dire.  Il en avait pris son parti et faisait sien le proverbe suisse "Mieux vaut être haï ou redouté que ridicule".  Et aussi celui-ci : 3les plus moqueurs sont ceux qui auraient le moins le droit de l'être".


Du même auteur j'ai lu :

Cliquez sur la couverture pour avoir accès à mon billet









vendredi 20 avril 2018

Cowboy Henk et le gang des offreurs de chevaux

Cowboy Henk et le gang des offreurs de chevaux

Kamagurka & Herr Seele


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Frémok Editions
Collection Amphigouri
Parution janvier 2018
Traduit du néerlandais par Willem
Pages : 48
ISBN 9782390220107
Prix : 18  €


Présentation de l'éditeur


Un cheval galope à travers le paysage désolé de Volga Valley avec pour seul compagnon son cowboy.

Mais il ne s’agit pas de n’importe quel cowboy... Voilà le seul, le vrai, l’unique Cowboy Henk ! Notre héros à la houpette dodue va devoir démasquer de redoutables offreurs de chevaux, affronter des indiens sportifs de haut niveau, sans oublier une mission ô combien périlleuse : apprendre l’alphabet !

Initialement paru en 1986 à L’Écho des Savanes, Cowboy Henk et le Gang des Offreurs de Chevaux de Herr Seele et Kamagurka est le quatrième titre du célèbre cowboy réédité aux éditions Frémok qui, cerise sur les chevaux s'orne ici d'une traduction du génial Willem. Différence de taille par rapport aux titres précédents, il s’agit ici d’une histoire complète de 44 pages. S’y déploie le récit absurde du combat entre Henk et un gang d’offreurs de chevaux, tandis que les voyelles de la réserve de caractères typographiques de Fort Knox ont été volées par des Indiens.

Cowboy Henk et le Gang des Offreurs de Chevaux réunit les ingrédients qui ont fait le succès et la marque de fabrique inimitable de Herr Seele et Kamagurka : un humour potache, de l’absurde, des références à l’Histoire de l’Art et de la bande dessinée, une fantaisie sans borne, et une pointe de scatophilie... sans oublier un passage chez le coiffeur.

Il y a de toute évidence du Tintin et du Lucky Luke dans ce récit qui s’inscrit dans la tradition graphique des albums franco-belge et de la fameuse ligne claire, mais les codes piochés dans un imaginaire nostalgique sont allègrement parodiés afin de composer une aventure surréaliste et dadaïste. Le style volontairement désuet de l’ouvrage original est rendu dans cette réédition par l’impression en bichromie. Bluffant de modernité, cet album confirme l’intemporalité de l’oeuvre de Herr Seele et Kamagurka, précurseurs et indétrônables génies de la bande dessinée d’humour depuis plus de 30 ans.

Mon avis

Un album que j'ai piqué à mon mari.  Un album belge réédité, ça tombe bien c'est justement le mois belge chez Anne et Mina, l'occasion de le découvrir.

La version originale est parue en 1986 sous le titre de Cowboy Henk - De paardenschenkers aux éditions De Harmonie (Amsterdam) en français, Maurice le Cow-boy paru dans "L'écho des Savanes" Albin Michel traduit par Willem.

Bienvenue dans cette BD belgo-flamande, décalée à souhait.

On suit les aventures du Cowboy Henk à la recherche du gang des offreurs de chevaux dont il est lui même victime sans réellement s'en apercevoir.  

Il se rendra à Fort Knox pour apprendre l'alphabet afin de lire un bouquin sur les offreurs de chevaux... ça commence fort!

Surréalisme au rendez-vous, ce n'est pas belge pour rien !

Un humour très particulier décalé qui m'a vraiment fait rire.  A prendre au trente-sixième degré.  Cela se lit très vite, j'ai apprécié.

Ma note : 9/10



mardi 17 avril 2018

Ecoutez nos défaites - Laurent Gaudé

Ecoutez nos défaites  -  Laurent Gaudé



Actes Sud
Parution : août 216
Pages : 288
ISBN 978-2-330-06649-9
Prix  : 20, 00€

Présentation de l'éditeur


Un agent des services de renseignements français gagné par une grande lassitude est chargé de retrouver à Beyrouth un ancien membre des commandos d'élite américains soupçonné de divers trafics. Il croise le chemin d'une archéologue irakienne qui tente de sauver les trésors des musées des villes bombardées. Les lointaines épopées de héros du passé scandent leurs parcours – le général Grant écrasant les Confédérés, Hannibal marchant sur Rome, Hailé Sélassié se dressant contre l’envahisseur fasciste... Un roman inquiet et mélancolique qui constate l'inanité de toute conquête et proclame que seules l’humanité et la beauté valent la peine qu'on meure pour elles.


“Écoutez nos défaites est un livre sur le temps. Celui des quatre époques qui s’entremêlent et construisent le récit : la guerre entre Hannibal et Rome, la guerre de Sécession, la deuxième guerre italo-éthiopienne et enfin l’époque contemporaine. Mais c’est aussi un livre qui essaie de saisir ce continuum qui nous traverse, nous lie aux époques précédentes, dans une sorte de mystérieuse verticalité. Un peu comme le font ces objets archéologiques qui traversent les siècles, surgissent parfois à nos yeux, au gré d’une fouille, nous regardent avec le silence profond des âges et disparaissent à nouveau, vendus, détruits ou engloutis pour quelques siècles encore.
Dans Écoutez nos défaites, chacun espère la victoire. Les généraux réfléchissent, construisent des stratégies, s’agitent, envoient leurs hommes à l’assaut, connaissent des revers, des débâcles, se reprennent et parviennent parfois à vaincre. Mais qu’est-ce que vaincre ? Battre son ennemi ou lui survivre ? Est-ce qu’au fond Hannibal n’a pas vaincu Scipion ? N’est-ce pas lui qui est devenu mythe ? Qu’estce que vaincre lorsque la partie ne se joue pas uniquement sur le champ de bataille ? Hannibal, Grant et Hailé Sélassié ne meurent pas au milieu de leurs troupes. Ils survivent à la guerre, traversent cette épreuve et vieillissent. Et avec le temps, l’écho lointain des batailles, si terrifiant au moment où ils les vécurent, devient peut-être le bruit de leur gloire passée ou en tout cas le souvenir d’instants où ils furent vivants comme jamais. Car ce qui vient après la bataille, que l’on ait gagné ou perdu, c’est l’abdication intime, cette défaite que nous connaissons tous, face au temps.
Et si, dès lors, la défaite n’avait rien à voir avec l’échec ? Et s’il ne s’agissait pas de réussir ou de rater sa vie mais d’apprendre à perdre, d’accepter cette fatalité ? Nous tomberons tous. Le pari n’est pas d’échapper à cette chute mais plutôt de la vivre pleinement, librement.
Les deux personnages principaux d’Écoutez nos défaites, Assem, l’agent des services français, et Mariam, l’archéologue irakienne, sont dans cette quête. Ils sont aux endroits où le monde se convulse. Et si la défaite ne peut être évitée, du moins son approche est-elle l’occasion pour eux de s’affranchir. Quitter l’obéissance et remettre des mots sur le monde. Assumer la liberté de vivre dans la sensualité et le combat. C’est cet affranchissement commun qui rend leur rencontre possible et va les unir dans cette traversée d’un monde en feu, où ils seront peut-être défaits mais sans jamais cesser d’être souverains.”



L. G.



 

Mon avis


Cela faisait un moment que j'avais envie de lire ce livre "perdu" dans ma monstrueuse PAL, merci à Jostein de m'avoir attendue pour cette LC.


Un très beau roman de Gaudé avec un sujet difficile. La construction est particulière car des personnages qui à priori n'ont rien en commun car ils ont vécu à des périodes différentes nous livrent pourtant le même message provoquant en nous réflexion et questionnement.


Pourquoi encore et toujours entreprendre des guerres, pour gagner quoi au final ? La victoire n'a-t-elle pas toujours un goût amer de défaite ? Pourquoi tant de sacrifices pour gagner un combat ? Quand s'arrêtera la folie meurtrière des hommes ? Pour quelle victoire en somme ? Pourquoi commettre à chaque fois les mêmes erreurs, reproduire les mêmes schémas ?


Ce sont toutes ces questions que trois héros glorieux : Hannibal, le général Grant, Hailé Sélassié se sont posées, tout comme Assam et Mariam.


Le constat est le même à chaque période de l'Histoire : chaque victoire a sa défaite.


Assem Graïeb est fatigué, il a fait des tas de missions pour les services généraux français. Sa dernière mission est de retrouver un homologue américain ayant tué Ben Laden. Cet homme est-il fiable ou faut-il le neutraliser ? Assem a toujours agi pour servir sa nation. Il n'a gagné aucune victoire même lorsqu'il a supprimé Kadhafi . Sa défaite : perdre foi dans l'humanité.


Il rencontrera Mariam, une archéologue irakienne qui célèbre ses victoires lorsqu'elle retrouve des objets volés, perdus suite aux pillages et dynamitage des sites du Moyen-Orient. L'arrivée de la maladie sera sa défaite.


En parallèle on mélange le destin d'Hannibal combattant depuis plus de vingt ans contre Rome. Il y aura des victoires mais aussi des défaites. Il s'est fait un nom mais il est diminué physiquement et toutes ses années perdues loin de sa famille.


Ulysse Grant gagnera contre les confédérés, il sera élu président mais que de morts, que de sacrifices en vies humaines. Son surnom "le boucher" lui survivra, la corruption aussi sera sa défaite.


Enfin Hailé Sélassié sait que son armée est en mauvaise posture contre Mussolini , sa défaite sera l'exil et la lâcheté de la SDN.


L'écriture passionne, mêlant ces parcours de vie, dans un même combat, une même histoire en fait. Il y a toujours une faille et aucune victoire n'est pleine et réelle, c'est toujours au détriment de quelque chose.


Comme à chaque fois Laurent Gaudé nous tient en haleine. Un très bon moment de lecture, un joli texte.


Ma note : 9/10

L'avis de Jostein se trouve ici

Les jolies phrases


Il se souvient de l'instant où il avait accepté de mourir, et il le faisait sans haine, à cause des pleurs des femmes, probablement, ou parce qu'il a trop souvent tué pour ne pas reconnaître à l'ennemi le droit de lui prendre la vie.

Au départ, déjà, la certitude qu'il n'y aura aucune victoire pleine et joyeuse.

Les mille possibilités, hasards, carrefours, improbabilités qu'offre la vie sans cesse.  Et vivre, peut-être, n'est que cela : se frayer un chemin à travers les aléas.

Qu'est-ce qu'ils croyaient ?  La boucherie, voilà ce qu'est la guerre.  Rien d'autre.

Cette lutte qui semble si vaine, préserver des objets quand le monde tout autour brûle et se déchire, cette lutte, vouée à la défaite sûrement, qui cherche à arracher du néant ce qui, immanquablement, y retournera. 

Au fond, il n'y a que cela qui soit juste, que cela qui vaille la peine de prendre les armes : la libération des peuples.

Au départ, déjà, il y a le sang et le deuil. Au départ, déjà, il faut accepter l'idée d'être amputé de ce qui vous est le plus cher.  Au départ, déjà, la certitude qu'il n'y aura aucune victoire pleine et joyeuse.

Qu'est ce qu'ils croyaient, tous ?  Qu'on obtient des victoires en restant immaculé ? Que l'on peut sortir de tant de mêlées indemne et frais comme au premier jour ?

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Cliquez sur la couverture pour avoir mon avis




lundi 16 avril 2018

Ring Est - Isabelle Corlier

Ring Est   -  Isabelle Corlier

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Ker Editions
Parution février 2018
Pages : 280
ISBN : 9782875862259
Prix : 18 €

Présentation de l'éditeur


Le corps d’un homme battu à mort est découvert sur une aire de parking, non loin du Ring de Bruxelles.

Aubry Dabancourt, juge d’instruction, est chargé de l’enquête.
Une aubaine pour le magistrat qui compte bien tout faire pour que le mort emporte son secret dans la tombe.

Ring Est a remporté le prix Fintro Écritures Noires, décerné par un jury présidé par Paul Colize et composé de Thierry Bellefroid (RTBF), Luc Castro (Fintro), Christine Defoin (Foire du Livre de Bruxelles), Michel Dufranne (RTBF), Véronique Henry (Fintro), Anthony Rey (producteur de « La Trève »), Geneviève Simon (La Libre) et Xavier Vanvaerenbergh.



Premier roman

L'auteure nous en parle




Mon avis

Un premier roman, belge de surcroît , tout ce que j'aime découvrir !  Il vient de remporter le prix Fintro Ecritures Noires qui récompense un auteur qui n'a jamais été publié.  Il s'agit d'un polar très bien mené avec lequel j'ai passé un super moment.

Aubry Daubencour est un juge d'instruction.  Sa vie est compliquée depuis la mort prématurée de son épouse.  Il mène tambour battant sa vie professionnelle et celle de père car c'est lui qui s'occupe de sa fille Lily.  Ce n'est pas simple pour l'instant car Lily fait ses dents.  Elle est difficile et pour la calmer il l'emmène régulièrement faire un tour du ring de Bruxelles... C'est bien connu la voiture, ça endort les enfants !

Je vous parle du ring (ceinture autoroutière ou périphérique de Bruxelles) car il est au même titre que Bruxelles, un personnage à part entière de ce roman.

Un soir, rentrant à la maison avec sa fille, une voiture lui fait une queue de poisson, mettant leurs vies en danger.  Une poursuite commence, arrêt sur une aire de parking non loin du ring.  C'est à ce moment qu'Aubry pète littéralement les plombs...   Sa vie bascule en quelques secondes...

Le lendemain, on lui confie l'enquête.   Une chance pour lui ...

On connaît donc le coupable dès le départ.   Échappera-t-il à la justice ? Comment ? Le crime est-il parfait ?

Le juge confiera les devoirs d'enquête à un jeune inspecteur zélé : Zacharia Bouhlal.

Peu à peu avec une plume très maîtrisée, par le biais d'un récit chronologique, nous allons voir évoluer les divers personnages.  L'auteure nous distillera adroitement peu d'éléments sur l'affaire mais ceux-ci finiront par s'imbriquer de manière habile l'un dans l'autre.

C'est très crédible.  Les personnages sont vraiment bien travaillés.  On découvre les procédures judiciaires. C'est sombre et efficace.

Cerise sur le gâteau, l'auteure assume pleinement sa Belgitude utilisant Bruxelles, son ring et les Ardennes comme décor.  Des descriptions qui me parlent, qui nous projettent ce qui ajoute un plaisir de lecture supplémentaire.

J'ai apprécié l'usage de "Brusselaire", de "Belgiscismes" et autres expressions de chez nous.  Amis français, n'ayez crainte, elles sont annotées et traduites.

Un chouette premier polar de qualité.  A découvrir !

Ma note 8.5/10


Les jolies phrases

Je veux pouvoir servir la justice, pas arbitrer l'éloquence des parties.  Je veux être sur le terrain, pas coincé dans un bureau. Je veux chercher la vérité, pas établir les peines selon des critères aussi précis que rhétoriques.

L'après-midi était encore jeune et il faudrait bien une heure et demie avant que les artères commencent à souffrir des embolies du soir.

Il se sentait comme un pêcheur qui voit soudain le flotteur disparaître sous la surface.  Il fallait ferrer le poisson, mais avec prudence, pour ne pas casser la ligne.

Certaines conceptions de la liberté sont incompatibles avec les traditions.  Il m'a fallu presque une vie pour le comprendre et l'accepter.





dimanche 15 avril 2018

Le goût de la limace - Zoé Derleyn

Le goût de la limace   -  Zoé Derleyn


Quadrature
Parution : 04/10/2017
Pages : 100
ISBN : ISBN 9782930538747
Prix : 15 €


Présentation de l'éditeur


« Si elle n’avait jamais eu de sœurs. Ou si elles étaient mortes toutes les trois. Plutôt que de les entendre hurler, dévaler les escaliers sans arrêt, de les voir débouler dans sa chambre pour lui demander de les départager d’un nouveau concours idiot ou de refaire pour la cinquième fois leurs tresses, Audrey pourrait se concentrer et parvenir à finir une phrase du premier jet. Sans ses sœurs, elle connaîtrait enfin la paix. Pour que le silence soit parfait, il aurait fallu qu’elle n’ait plus de parents non plus, évidemment… »

Entre lumière et zones d’ombre, les personnages de ce recueil tracent leur route sur le fil ténu qui sépare la réalité apparente du monde intime.

L'auteure


Zoé Derleyn est née à Bruxelles en 1973. Peintre de formation, l’écriture a toujours été présente, jusqu’à couvrir les pages de ses carnets de croquis. Le goût de la limace est son premier recueil de nouvelles.  Elle était finaliste pour le prix Rossel 2017.

Mon avis

Un tout premier recueil de nouvelles pour Zoé Derleyn, et pas des moindres car il était dans la sélection du dernier prix Rossel 2017.

Dix nouvelles du domaine de l'intime mettant en évidence les zones d'ombre et de lumière des personnages souvent en équilibre entre la vie et la mort.

  •  Le camion : à partir d'une photo d'enfant, de la description d'une chambre, d'odeur et d'atmosphère. Un entretien avec sa grand-mère qui lui livrera un lourd secret.
  • Le goût de la limace : une rencontre furtive dans un bistrot. Ana va replonger dans le monde de l'enfance.  Nostalgie qui la ramène à son premier amour, à ses défis idiots dont le goût visqueux revient après tant d'années.
  • Veillée : la mort apparaît souvent dans ce recueil, veillée funèbre pourtant si proche de la vie qui continue.
  • Pluvier : soirée molle remplie d'espoir jusqu'à ce que la pluie et l'orage perturbent les réjouissances...
  • Rumeurs : lors de la crémation de S, des rumeurs circulent, son ami, "frère de coeur" qui partageait l'intime est présent, il sème le trouble et suscite l'envie.
  • Terrain vague: nostalgie, enfance, futilité et gravité, vie et mort- choix délibéré - rendez-vous manqué entre une mère et son enfant
  • La mort dans la nuit : une petite fille malade chez sa grand-mère en plein hiver, sa vie pourrait lui échapper, elle s'accroche à l'envie d'écrire.
  • Le petit : un géant, le fils de l'amant : dans le jeu de la séduction , la peur de s'engager, de se fixer
  • Peau de rousse : Audrey est ado, elle rêve de solitude en regardant le ciel , pendant que ses parents font de la spéléo
  • Sur la route du paradis  est la dernière nouvelle.
Un joli premier recueil où la frontière entre la vie et la mort est mince, dont le thème principal est l'exploration intérieure.  Des nouvelles qui percutent en plein coeur.  Zoé Derleyn avec finesse nous conte à chaque fois avec justesse les impressions ressenties par les personnages.  Elle nous emmène dans l'intime, dans l'inavoué, dans la part d'ombre de chacun oscillant entre l'étrange et le familier.

Doutes, peurs, solitudes, le tout avec une plume impeccable suscitant l'émotion.

Ma note : 8.5/10

Les jolies phrases


Elle se souvint que, plus jeune, elle croyait que faire l'amour était la chose la plus intime qui soit et qu'après tout était possible, que c'était comme une porte qui ouvrait sur tout le reste, et puis elle avait compris que ça n'ouvrait sur rien d'autre que la jouissance, et encore, avec de la chance, mais que pour ouvrir les autres portes il fallait autre chose, qu'il ne suffisait pas de se mettre tout nu l'un contre l'autre.

Aimer, être aimé, fait-on vraiment la différence ?

Avec S., elle avait eu l'impression de retrouver quelque chose d'intime.  Quelque chose qu'elle avait laissé derrière elle, dans son enfance, entre deux tombes d'un vieux cimetière ou sur le plancher roux d'une cuisine, quelque chose de perdu qui était réapparu.

Le gros voisin m'a fait signe depuis sa fenêtre.  Il a un ventre énorme, on dirait qu'il essaie de s'échapper de sa chemise.

J'ai décidé de tout faire en courant toute ma vie pour que mon coeur batte très vite et ne s'arrête jamais.